Esperanza Spalding
Quand vous êtes un fan absolu de la diva du jazz Nathalie Cole et que vous entendez Esperanza Spalding pour la première fois tout en ignorant jusqu’à son existence, une sorte d’angoisse vous saisit, puis une foule de questions se bouscule dans votre tête . Car vous êtes sûr que cette voix et ce phrasé sont bien ceux de Nathalie Cole, mais on vous répond que non. Auriez -vous raté chose dans la discographie de votre idole ? Etes- vous aussi incollable à son sujet que vous le croyiez ? Mais l’ami qui est à la base de cette découverte musicale, sentant le trouble s’installer, vous rassure sur vos connaissances en jazz et confirme qu’il s’agit bien d’Esperanza Spalding, le nouveau joyau de la musique américaine.
Aujourd’hui encore, il est difficile d’y croire tant se dégagent de cette bassiste, contrebassiste et chanteuse une maturité et un grain de voix qui vous renvoient tout de suite aux années 40 et à Sarah Vaughan ou Ella Fitzgerald. Pourtant, Esperanza Spalding est née le 18 octobre 1984 à King, un quartier défavorisé de Portland, dans l’Oregon.Sa mère qui l’élève seule perçoit très tôt ses qualités musicales et l’encourage à les développer. « Quand j’avais quatre ans, raconte Esperanza, j’ai vu la violoncelliste Yo Yo Ma dans un épisode de Mister Roger’s Neighborhood à la télé, et j’ai réalisé que je voulais faire de la musique mon métier. Dès lors, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour atteindre mon but ».
A l’âge de cinq ans, elle apprend seule le violon et parvient à intégrer la Chamber Music Society of Oregon, un orchestre communautaire ouvert aussi bien aux adultes qu’aux enfants. Esperanza y restera une décennie et à l’âge de quinze ans seulement, obtient le grade de concertiste en tant que premier violon. C’est à ce moment qu’elle découvre la basse et réalise les possibilités que lui offre cet instrument et dès lors, jouer de la musique classique dans un orchestre communautaire n’était évidemment plus suffisant pour la jeune adolescente.
S’ouvre alors pour Espreanza un horizon musical plus large où se côtoient funk, hip-hop, reggae, tous styles qu’elle expérimente avec son nouveau groupe Noise For Pretend au sein duquel elle apprend à chanter et à composer avec un enthousiasme nouveau, enfin libérée du carcan de la musique de chambre. Quelques mois plus tard, Esperanza franchit le pas et quitte le collège pour de bon, obtient une bourse et s’inscrit à un programme à la Portland State University : « j’étais la plus jeune des étudiants, raconte-elle. J’avais seize ans, et je jouais de la basse depuis un an et demi alors que ceux qui étaient là en jouaient depuis au moins dix ans, mais les professeurs disaient que j’avais du talent et n’ont cessé de m’encourager ».
La suite dépasse les espérances de Spalding puisqu’elle intègre la prestigieuse Berkeley College et après trois ans de cours accélérés, Esperanza décroche en 2005 un Master en musique, mais aussi un poste d’enseignant à l’âge de vingt ans, une nomination qui fait d’elle l’une des plus jeunes membres d’un collège d’enseignants dans l’histoire du prestigieux Berklee College of Music.
En 2005, elle obtient aussi une bourse de la renommée Boston Jazz Society pour ses nombreuses actions en faveur de la musique. Parallèlement à sa carrière d’enseignante et d’étudiante à Berklee, Esperanza continue à jouer avec des icônes du jazz comme le pianiste Michel Camilo, la chanteuse Patti Austin, le guitariste Adam Rogers ou les saxophonistes Donald Harrison et Joe Lavano. « Jouer avec Joe était terrifiant », se rappelle Esperanza, « mais il est si généreux et avait tellement de foi en moi. . . Ces années avec lui ont été une expérience incroyable que je n’oublierai jamais », conclut-elle.
Ses débuts en tant qu’artiste solo datent de 2006 quand elle publie Junjo sur le label espagnol Ayva. Cet album voit la participation du pianiste Aruàn Ortiz et du batteur Francisco Mela, et l’on perçoit déjà l’immense culture musicale d’Esperanza car la jeune femme nous fait revivre pratiquement toutes les époques du jazz de Sarah Vaughan à Billie Holiday en passant par Weather Report, et par moments, l’auditeur a l’impression d’entendre jouer Jaco Pastorius comme sur le titre qui donne son nom à l’album.
Esperanza récidive en 2008 avec Esperanza, son premier album international sur le label Heads Up qui atteint tout de suite le Billboard des charts de jazz et obtient l’album le plus vendu au monde dans la catégorie « jeune artiste de jazz ». Plusieurs récompenses et honneurs suivront dont celui insigne de recevoir une double invitation du président américain Barack Obama à venir jouer à la Maison Blanche et lors de la cérémonie du Prix Nobel de la Paix. Dans la foulée, Esperanza apparaît dans l’émission culte de David Letterman, le Late Show With Letterman, qui au passage, proclame que Spalding était « l’invitée la plus cool des trente ans d’existence de l’émission ». Rien que ça . . .
En 2010, Ezperanza publie Radio Music Society, un album qui reflète la pluralité des influences qui irriguent l’inspiration de la jeune chanteuse, et dès lors, il était évident que le triomphe de son premier album n’était pas un feu de paille. « A l’origine, explique Esperanza, je concevais les deux albums Junjo et Radio Music Society comme un double disque alliant musique de chambre et chansons pop. C’était pour moi une façon de montrer ma double façon de voir la musique et d’atteindre deux publics qui ne sont pas forcément les mêmes. Je pense avoir atteint mon objectif et trouvé une bonne façon de faire. »
Assurément, puisqu’en février 2011, à la 53ème cérémonie des Grammy Awards, Esperanza obtient le Grammy du Meilleur Nouvel Artiste. Un autre chapitre dans la légende naissante de l’enfant de Portland qui voit dans cette récompense « la reconnaissance de son travail » mais pas « une fin en soi ». Très lucide, elle ironise quand on lui demande ce que cette récompense lui a apporté : « la seule chose que le Grammy a changé à ma vie, c’est que l’on continue à me le demander. », répond-elle, délicieusement espiègle comme à son habitude. Quoi qu’il en soit, l’on peut penser qu’Esperanza n’a pas fini de glaner des trophées avec autant de talent, de générosité et de détermination à figurer au Panthéon du jazz. Zack Badji
Illustration: aquarelle de Régine Coudol-Fougerouse