Même s’il écume les scènes européennes depuis plus de vingt ans, Jérôme Cotta plus connu sous le nom de Jehro, n’a toujours pas la place qu’il mérite dans la nomenclature traditionnelle de la musique française. Pourtant il est certainement l’un des artistes actuels les plus originaux, tant par l’engagement de ses textes au profit de la fraternité entre les hommes, sa voix au timbre indéfinissable où résonne l’écho des montagnes de la Corse de ses ancêtres, le tout alimenté par une soif inextinguible pour les rencontres.
Ce goût de l’Autre et du partage s’expliquent certainement par ses origines marseillaises, lui qui a vu le jour dans le quartier du Panier, un des quartiers « chauds » de la ville phocéenne. C’est là, entre un père qui chante Brassens et une mère corse d’origine grecque et italienne que Jehro attrape le virus de la musique. Mais bientôt, le jeune Jehro qui a vingt ans, trouve vite Marseille trop petite et décide de larguer les amarres direction Londres.
C’est dans le quartier de Hammersmith, haut lieu de la culture populaire que Jehro pose ses valises et se lance à corps perdu dans son art. Certes, les conditions ont spartiates puisqu’il vit dans un squat d’artistes, mais Jehro n’en a cure, plongé qu’il est dans une effervescence créatrice qui lui fait oublier la faim et le froid.
Au milieu de musiciens espagnols et jamaïcains, Jehro perfectionne son jeu de guitare en reprenant les standards de la pop et s’émancipe peu à peu de sa langue natale en prêtant la voix aux textes de Bob Marley qu’il reprend dans le métro londonien et se prend d’affection pour le reggae, sa spiritualité et ses racines. Mais les conditions ne s’améliorant pas, Jehro rentre en France et s’installe dans un petit hôtel parisien situé rue Marcadet dans le 18ème,un endroit où il retrouve quelque peu la chaleur et la mixité de Hammersmith. Sa nouvelle source d’inspiration, c’est Pigalle, Montmartre, Belleville, autant d’endroits où les nuits sont plutôt courtes, les bars enfumés et où les filles se laissent aller sur la piste .
Bref, un terrain fertile jonché de rencontres, d’émotions qui va accoucher de « L’arbre et le Fruit », un album sorti chez Chrysalis/Emi en 1999 sous son vrai nom, Jérôme Cotta. Un premier opus très bien accueilli et qui lui valut un véritable succès d’estime en France,sans vraiment le placer dans la cour des grands. Car heureusement ou malheureusement, Jérôme,faute de soutien structurel, a toujours la tête dans les étoiles et continue de jammer dans les radios, les soirées entre amis et les bonnes bouteilles de Bordeaux.
A ses heures perdues, il jamme dans le studio de deux nouveaux camarades rencontrés dans sa cour d’immeuble : Christian Brun et Richard Minier. Patrons du team Marathonians-Superfruit, les sus-nommés vont épauler Jérôme et lui offrir la possibilité de développer un nouveau style musical qui va accoucher de en 2003 de « A Tropical Soul », un album aux tonalités indo-électro matinées de Calypso à la sauce pop.
Ce projet abouti, Jérôme se fait quelque peu oublier et retourne chez lui dans le sud, et là, au milieu des terres ocre et rouge, naît la première mélodie d’un projet d’album chanté en anglais qui sort en 2006. « Jehro », c’est son nom, restera à nos yeux l’album de la césure tant dans le contenu que la forme, mais aussi parce qu’il constitue l’acte de naissance d’un Jehro décidé à faire définitivement le break et passer du statut d’artiste estimé à celui d’artiste reconnu. On retrouve dans cette livraison l’amour éternel de Jehro pour les Caraïbes et ses rythmes que sont le reggae, le calypso ou la parangue, mais aussi l’émotion que lui procurent les gens simples dont il raconte les histoires avec des textes co-écrits avec Jake Bailey. Un album tout aussi bien accueilli que le premier puisqu’il est même nommé au Prix Constantin sans toutefois l’emporter.
En 2011, Jehro va enrichir sa discographie avec « Cantina Paradise », un magnifique appel à la fraternité qui lui vaudra en 2012 une Victoire de la musique dans la catégorie « musiques du monde » S’ensuivra l’album « Bohemians Soul Songs », une merveille ciselée avec ses amis de toujours et qui lui vaut désormais de figurer en bonne place sur l’échiquier de la musique.
Un juste retour des choses pour un artiste authentique dont le refus de s’insérer dans un système paraissait à beaucoup comme une erreur marketing. Mais cette « erreur » a fait de Jehro un patrimoine unique pour des millions de gens en recherche de fraternité pour qui la seule voix de l’enfant du « Panier » évoquera toujours le voyage et la liberté. Zack Badji
Illustration: dessin de Régine Coudol-Fougerouse