ROY HARGROVE
Quand l’on entend Roy Hargrove pour la première fois, c’est l’urgence de son jeu qui frappe. Comme si sa vie en dépendait, il joue chaque note comme si elle était la dernière, avec une puissance frisant le baroud d’honneur. Il n’est pas de ces musiciens qui frôlent la note, la vouvoient en d’interminables circumbulations, sans jamais la toucher. Roy Hargrove attaque bille en tête avec l’audace du désespéré et l’élégance du dandy. Parfois, il se lance dans une course effrénée à tel point qu’on se demande où il va, s’il va éviter le crash, mais comme un félin surdoué Roy retombe toujours sur ses pattes. C’est certainement cette sorte de goût du risque, cette recherche jubilatoire de la jouissance qui ont fait de lui le trompettiste le plus demandé de la planète.
Son découvreur n’est autre que Wynton Marsalis himself, qui, frappé par le jeu de Hargrove lors d’une visite dans son université, décide de lui organiser sa première tournée en Europe et au Japon. Ce coup de pouce du destin va alors propulser Hargrove dans la cour des grands, et alors qu’il n’a que 20 ans, le monde découvre un gamin tendu comme un ressort qui pousse l’outrecuidance à son sommet en soutenant sans vergogne les audaces de Gillespie, allant jusqu’à déstabiliser Ray Charles dans un chorus d’enfer en compagnie de Nicholas Payton et Wynton Marsalis. Ce jour-là, le monde découvrait avec étonnement un tout jeune iconoclaste coiffé de dreadlocks, comme un cheveu dans la soupe d’un monde du jazz aseptisé où les grandes figures sont sacralisées.
Après cette parenthèse magique, Roy ne s’enflamme pas, retourne à l’école et s’inscrit à la New School de New-York. Nous sommes en 1988 et dans la ville qui ne dort jamais, Roy découvre un terrain de jeu surdimensionné où les jamm sessions s’enchaînent jusqu’au petit matin. La liste des artistes avec lesquels Roy va collaborer pendant cette période est longue comme le bras et compte des noms prestigieux, jugez-en :Jimmy Smith, Christian Mc BrideErykah Badu, Shirley Horn, Angélique Kidjo, Ron Haynes, Common, Bob Thiele, The Jimmy Cobb Quartet, Herbie Hancock et tutti quanti. . .
Le pied désormais à l’étrier, Roy Hargrove peut désormais envisager une carrière personnelle. En 1990, en plus des quatre disques auxquels il participe en tant que sideman, Hargrove sort son premier album solo Diamond In The Rough. L’album suscite des réactions plus que positives qui vont décider Verve Records à signer Roy, lui donnant ainsi l’occasion de jouer avec d’autres grands musiciens sur le disque With The Tenors Of Our Time et notamment Joe Henderson, Johnny Griffin, Joshua Redman et Brandford Marsalis entre autres.Le monde est aux pieds de celui que l’on compare déjà à Miles Davis ou Charlie Paker, et c’est logiquement que Roy Hargrove remporte un Grammy Award pour son album Habana avec son groupe africano-cubain. Mais quelques mois plus tard, Roy Hargrove n’est plus que l’ombre de lui-même . La puissance et la tonicité qui avaient ébloui le monde avaient disparu comme par enchantement.
En 2001, les spectateurs du désormais mythique festival Jazz in Marciac dans le Doubs découvrent un Roy Hargrove au souffle court, vidé de toute énergie et jouant à l’économie et n’eût-été le sax alto de Jessie Davis, généreux et sensible à souhait, le quintet de Roy Hargrove aurait sans doute coulé corps et biens ce soir d’avril 2001. Mais au grand soulagement de ses fans Roy retrouvera la plénitude de ses moyens et la puissante énergie qui avait fait de lui le successeur tant attendu des grandes trompettes de l’histoire du jazz. Aujourd’hui, à près de 45 ans, Ray Hargrove peut revendiquer quatorze albums à la beauté bouleversante et où se retrouvent toutes les influences, comme pour soutenir un idée qui le guide depuis toujours : « Music Is Love ». Zack Badji
Illustration: lavis au brou de noix de Régine Coudol-Fougerouse
https://youtu.be/F8RlW6kFAZ4