stubborn heart
Quand on entend Stubborn Heart pour la première fois, la perplexité le dispute à la surprise tant l’attelage semble improbable. Imaginez Billie Holiday ou Louis Amstrong chantant sur un morceau de Daft Punk avec Bjork aux choeurs ! Pas possible, me diriez-vous certainement. Pourtant, Stubborn Heart l’a fait. Avec une autre distribution certes, mais pour un résultat que n’aurait pas renié la Dream Team suscitée. Mais la route vers la reconnaissance fut longue pour Lucas Santucci et Ben Fitzgerald, les deux membres du duo électronique Stubborn Heart, qui comme son nom l’indique, apparaît comme un mix de destins et d’entêtement invincible à atteindre le but choisi.
Car Lucas Santucci et Ben Fitzgerald ne sont pas des novices, mais parfois il faut du temps pour que le talent se réveille. Collaborateur de longue date de la perdue de vue Leila (ex-clavier de Bjork et auteure de Like Weather un blues techno album bien reçu en 1998), Lucas a toujours été un chanteur recherché mais comme choriste de luxe. Heureux donc, mais frustré. Quelque chose comme écrire ses propres chansons lui manquait mais écrasé par le talent des gens avec qui il travaillait à l’époque, Lucas rase les murs et renonce finalement à écrire. Même trajectoire pour son acolyte Ben Fitzgerald,DJ,producteur et ingénieur du son de 40 ans, qui à force de trimer dans la musique sans parvenir à en vivre finit par lâcher son studio de White Chapel pour refaire sa vie.
Mais oublier la musique est presque impossible, d’autant plus que sa nouvelle vie d’informaticien à Manchester n’est pas des plus drôles. Alors Ben et Lucas qui avait partagé le même groupe dans leur jeunesse se sont revus, parlés et épaulés sans doute unis par leur amour de la musique et le vague espoir que tout était encore possible. Stimulés par la vivacité inespérée de la scène électro, les deux amis se lancent et écrivent Need Someone, chanson douce et intense, aux fortes réminiscences dubstep comme pour rappeler que s’ils sont deux « vieux », Lucas et Ben n’en restent pas moins en phase avec l’époque.« Tout le monde croyait qu’on était des gars deux jeunes mecs de South London(foyer originel du dubstep). Personne ne se doutait qu’on était deux vieux de North London », s’amuse encore Lucas Santucci. Restait à faire connaître Need Someone.
Tache ardue au regard de ces milliers de Dj talentueux rongeant leur frein dans les couloirs des maisons de disques.L’idée de génie viendra de Trevor Jackson vieux gourou de la scène électro britannique qui va pousser les Stubborn Heart à sortir leur premier titre en white label. Une pratique de la grande époque de la techno et de la house qui permettait aux Dj de tester anonymement leurs singles avant une éventuelle sortie. Et ça marche puisque Need Someone accroche le prestigieux label Rough Trade qui décide de le publier durant l’été 2012.
C’est toute la scène électro qui est cueillie par surprise, puisque pour la première fois, un groupe était parvenu à démontrer qu’il existait un espace pour une autre soul, électronique, comme une émanation contemporaine des mélodies d’antan, le vintage en moins. Peut-être que les Stubborn Heart partagent avec la vague sixties les émotions qui sont le fondement de cette mélancolie qui transpirent des chansons du duo britannique. Celles des Stubborn Heart ne sont pas gaies, souvent parcourues par une plainte. Sur ce point, Ben Fitzgerald peut même paraître déroutant : « la musique triste me rend heureux. Et puis d’ailleurs, notre musique n’est pas triste, ce sont les paroles qui le sont » sourit-il, les yeux pleins de malice. Une acrobatie sémantique qui traduit à elle seule l’univers particulier d’un duo de cœurs têtus que le destin a fini par reconnaître. Qu’ils en soient ici remerciés. . . Zack Badji
Illustration: lavis de Régine Coudol-Fougerouse