YOUSSOU NDOUR

 

On dit que la valeur n’attend point le nombre des années. Seulement, cette expression en est devenue ringarde, à force d’être utilisée à tort et à travers, et en user révèle peut-être un penchant au moindre effort.Pourtant, il semble que s’il y a une personne pour qui la formule a été forgée, c’est bien Youssou Ndour. En effet, il n’a que onze ans quand un musicien du Dounia Orchestra dénommé Pacheco, fasciné, par les aptitudes vocales du gamin le présente à Charlie Diop, l’un des leaders du groupe Diamono.

Contre l’avis de ses parents qui veulent le voir réussir à l’école dans le Sénégal de l’époque où seules les études offrent un avenir, Youssou intègre le groupe et fait patiemment ses classes en attendant son heure. Elle arrive à l’occasion d’un événement douloureux puisque c’est à l’occasion de la mort de Pape Samba Mboup dit Mba, leader du Star Band de Dakar que Youssou Ndour va se révéler en interprétant un morceau composé pour la circonstance.

L’essai est plus que concluant puisque le public de Saint-Louis (nord du Sénégal) où se déroule l’hommage à Mba est soufflé par la performance de ce bout d’homme au timbre de voix juvénile et à la prestance étonnante pour son âge. Les responsables du Diamono Dakar sont alors sûrs d’avoir trouvé la perle rare, et demandent à Youssou de les accompagner à Banjul en Gambie où ils doivent se produire quelques jours plus tard. Mais il y a un problème de taille car Youssou sait que son père ne lui donnera pas l’autorisation d’y aller. Suivant son instinct, il passe outre et s’embarque pour la Gambie à ses risques et périls.

A son retour, son père, ouvrier de son état et célèbre pour sa rigueur avec laquelle il éduque son fils depuis sa naissance en octobre 1959, le tance vertement et au cours de cette explication, le jeune Youssou finit par convaincre le vieux Elimane Ndour de sa vocation de chanteur. Pour le rassurer d’avantage, il entre au Conservatoire de Dakar pour y acquérir des notions de solfège et en 1975, Youssou intègre un orchestre nouvellement engagé par un hôtel réputé de Dakar, le Miami et en raison de son statut de mineur (il a 16 ans), c’est son père qui négocie le contrat avec le maître des lieux, Ibra Kassé. Il y reste jusqu’en 1979 où il quitte Ibra Kassé et fonde avec El Hadj Ndiaye le groupe l’Etoile de Dakar.

La nouvelle formation fait une entrée tonitruante dans le paysage musical du Sénégal puisque son titre « Khaliss » est un tube qu’on danse encore. En 81, Youssou Ndour et El Hadj Ndiaye(co-fondateur avec lui de l’Etoile de Dakar) se séparent pour incompatibilité d’humeurs et Youssou fonde un nouveau groupe qu’il baptise Super Etoile. La réussite vient tout de suite et l’orchestre squatte le hit-parade car You comme on l’appelle familièrement place la musique folklorique sénégalaise dans une nouvelle orbite puisqu’il parvient à créer un nouveau style dénommé Mbalakh qui mêle savamment les percussions aux instruments modernes tout en conservant les bases rythmiques du terroir. Mais sa grande trouvaille de l’époque semble être « le ventilateur », une danse hautement érotique qui fait fureur dans les clubs de Dakar. Quelques tubes comme « Indépendance » ou « Ndakarou » produits à l’époque sous forme de cassettes par les Editions Mandingo finissent de convaincre tous les mélomanes que la musique sénégalaise avait trouvé son nouveau roi en la personne de Youssou Ndour.

A 24 ans, le jeune homme est déjà à la tête d’une véritable entreprise qui emploie musiciens, managers et possède le Thiossane, un club où se presse la jeunesse branchée de Dakar. Et pour soigner son image de garçon modèle, You vit toujours chez ses parents dans le quartier populaire de la Medina auquel il restera viscéralement attaché.

Devenu prophète en Afrique, Youssou s’attaque au marché européen en mai 1984 à l’occasion de l’Africa Fête, festival culturel africain qui pour une soirée, accueille à l’espace Ballard de Paris les pionniers de l’Afro-rock, les Nigérians d’Osibisa et Youssou lui-même. La tournée se poursuit en Allemagne, en Angleterre, Suède, Finlande, Norvège et en Suisse. You profite de cette occasion pour confier ses intérêts européens au label Celluloid et ainsi, pose définitivement un pied sur le vieux continent. Devenu un véritable ambassadeur de la musique africaine, You va exporter le Mbalakh de l’autre côté de l’Atlantique, aux Usa et aux Canada trois semaines durant et le succès est tellement important que le magazine américain Times ne tarit pas d’éloges à l’endroit de You qu’il surnomme le « showman ».

Mais c’est sa rencontre avec Peter Gabriel qui va donner un nouveau tournant à la carrière de l’enfant de la Medina de Dakar. L’ex chanteur des Genesis est impressionné par le timbre de voix  et la présence scénique de You et en cet été en 1987, il lui confie la lourde tâche d’assurer sa première partie lors de deux  dates mémorables au Madison Square Garden de New-York puis lors de la tournée européenne de Gabriel. Mais la véritable consécration vient au cours du périple mondial que You entreprend pour Amnesty International lors de l’été 88 en compagnie de vedettes hors normes comme Sting, Tracy Chapman, Peter Gabriel. You accède, sans vraiment s’en rendre compte lui-même au statut de star planétaire et devient la nouvelle icône que l’Afrique attendait.

En 1989, sort son premier album pour le marché international. Signé chez Virgin, « The Lion »(Gaïndé en wolof) marque une véritable mue car si le mbalkh reste la base de la musique de Youssou, il est accommodé ici de nappes de synthé et de riffs de guitares rock et présente des arrangements qui ouvrent de nouvelles perspectives au Super Etoile. Les fidèles de la première heure y voient une dénaturation de la musique de You, mais ce dernier défend ses idées car il pressent, (et l’avenir lui donnera raison) que la musique africaine doit sortir de son ghetto pour opérer une fusion qu’on nommera plus tard world music.

En même temps qu’une tournée européenne qui passe par l’Olympia en novembre 90, Youssou sort son deuxième album international chez Virgin. Il le baptise « Set »(la propreté en wolof) et à mots plus ou moins couverts, dénonce la corruption des élites africaines à qui il recommande plus de clarté dans la gestion des deniers publics, et si l’album précédent marquait un tournant dans la conception musicale, « Set » installe You dans un rôle de porte-parole qu’il ne quittera plus. Dans l’univers de la musique, l’accueil est extrêmement favorable, mais côté affaires, Virgin estime que les ventes sont insuffisantes et rompt le contrat. Le marché international ferme alors quelque peu ses portes à You, mais les cartes vont être redistribuées quelques mois plus tard.

En effet, à l’occasion d’un show-hommage à Nelson Mandela à Dakar en 1991, Youssou invite le réalisateur afro-américain Spike Lee à y assister. Alors que You est en manque de maison de disques, le réalisateur le contacte quelques mois plus tard et lui propose de produire son prochain album. C’est « Eyes Open » qui sort au printemps 92. Cerise sur le gâteau, Spike Lee choisit « Africa remembers » parmi les quatorze titres de l’album et décide d’en réaliser lui-même le clip. Cette collaboration avec le réalisateur américain donne à You une envergure mondiale et c’est naturellement qu’il collabore avec Neneh Cherry sur « Seven Seconds », un single sans aucune consonance africaine et c’est la divine surprise. Le titre se vend à plus de 1.500000 exemplaires à travers le monde et offre à You le second disque d’or de l’histoire de la musique africaine après celui de Myriam Makeba. Mais plus important encore, « Seven Seconds » ouvre à You les portes de la world music, lui qui reconnaissait quelques années auparavant que sa musique avait du mal à s’imposer sur le plan international.

En 1994, le nouvel album « Wommat The Guide » profite incontestablement du succès planétaire de « Seven Seconds » puisqu’il est vite classé dans les charts européens, preuve que la star sénégalaise a enfin conquis le marché extra-africain. On y trouve le merveilleux « Chimes of Freedom, une reprise du titre de Bob Dylan ou le solaire « Undicided » qui est remixé par les deux géniaux musiciens de « Deep Forest ».

Mais le tournant majeur est sans doute la participation artistique de Youssou à la Coupe du Monde 98, où dans un stade de France chauffé à blanc, le Prince du Mbalakh interprète l’hymne du mondial en compagnie de la Belge Axelle Red. Des milliards de téléspectateurs découvrent alors Youssou Ndour et c’est la consécration, plus de trente ans après les débuts du gamin de la Médina de Dakar. Le monde entier le réclame et la consécration se confirme quand en 99 il tétanise les spectateurs du mythique Hammerstein Ballroom de New-York à l’occasion d’un concert qui voit la participation du légendaire Stevie Wonder. Désormais, chacun de ses disques est attendu avec beaucoup d’intérêt.

Plus de dix ans après, la discographie de Youssou s’est enrichie d’une dizaine d’albums dans lesquels le « Lion » du Sénégal parvient sans cesse à se renouveler au risque de dérouter les oficionados du mbalakh, oscillant entre folklore et world music  avec une grâce qui frise l’insolence. Sa dernière livraison en est la preuve éclatante puisque cette fois ci, Youssou s’est essayé au . . . reggae dans un album fort réussi où il rend un hommage appuyé à Bob Marley.

Mais la grande performance de You, c’est d’avoir conquis la scène mondiale sans quitter la terre d’Afrique au contraire de beaucoup de ses homologues qui ont cru qu’il fallait habiter New-York ou Paris pour réussir.Il est au delà de la musique, Youssou Ndour est un modèle d’obstination et de professionnalisme pour une jeunesse africaine souvent en manque de repères. Dieureudieuf (merci en wolof), l’artiste ! Zack Badji

Illustration: aquarelle de Régine Coudol-Fougerouse

2 commentaires

Le 16 janvier 2012 josy

je n'ai pas trouvé mention de l'artiste illustrateur du site. magnifique youssou ndour!!

Le 18 janvier 2012 josy42

l'illustration est superbe bravo l'artiste!!

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